Baltazar Atangana fait de l’écriture un acte de résistance et du savoir un outil de transformation. Écrivain, critique littéraire et expert en genre, il conjugue plume, terrain et pensée critique pour faire émerger les voix que l’histoire oublie trop souvent.
Dans luttes de femmes, son dernier ouvrage, il tisse une frisque vibrante des combats féminins, melant récits intimes et analyse sociale. Il est notre invité

Qui est Baltazar ATANGANA et quelle est la nature de son engagement intellectuel et professionnel ?
Je suis Baltazar ATANGANA, écrivain, critique littéraire, comparatiste et expert en genre et développement. Mon engagement professionnel s’inscrit dans une dynamique transversale, à la jonction de la production intellectuelle, de l’intervention stratégique et de la transformation sociale. En tant que consultant principal pour des missions institutionnelles et internationales, j’interviens dans des contextes marqués par des vulnérabilités structurelles, où l’analyse des rapports sociaux de genre ne peut se dissocier des enjeux de gouvernance, de justice sociale et de dignité humaine.
Mon approche du genre est résolument intersectionnelle, attentive aux effets combinés des discriminations liées au sexe, à l’âge, à la classe, à l’ethnicité ou à la situation géographique. Elle repose sur une lecture fine des dynamiques locales, des résistances communautaires et des récits invisibilisés. Je conçois le développement comme un processus narratif autant que technique, où les voix des femmes et des jeunes doivent être intégrées non comme objets d’étude, mais comme sujets politiques. Mon écriture, qu’elle soit analytique ou poétique, vise à restituer cette complexité, à documenter les luttes, et à proposer des cadres d’action ancrés dans le réel.
Parlant de votre dernière publication Luttes de femmes, le titre est fort. Comment et pourquoi l’avez-vous choisi ?
Le choix du titre Luttes de femme procède d’une volonté de positionnement clair dans le champ des études de genre et des récits de résistance. Il ne s’agit pas d’un effet rhétorique, mais d’un acte de reconnaissance : reconnaître que les luttes féminines, dans leur pluralité, constituent des dynamiques politiques à part entière. Ce titre affirme que les combats des femmes ne relèvent pas de l’exception, mais de la structure ; qu’ils ne sont pas périphériques, mais centraux dans la compréhension des sociétés contemporaines.
En tant qu’expert en genre, j’ai voulu que le titre reflète la densité des trajectoires, la légitimité des résistances et la nécessité de les inscrire dans une mémoire collective. Il s’agit aussi d’un appel à reconsidérer les catégories habituelles de l’analyse : derrière chaque lutte, il y a une subjectivité, une stratégie, une vision du monde.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Ce livre est né d’une double nécessité : celle de documenter des récits trop souvent marginalisés, et celle de proposer une grille de lecture située, capable de rendre compte des luttes féminines dans des contextes de précarité, de conflit ou d’exclusion. En mission dans des zones à forte vulnérabilité, j’ai été confronté à des récits de femmes et de jeunes filles dont la résilience dépasse les cadres habituels de l’analyse. Ces récits ne pouvaient rester dans l’ombre des rapports techniques ou des indicateurs quantitatifs.
En tant qu’expert en genre et développement, j’ai estimé qu’il était de ma responsabilité de les transmettre, de les contextualiser, et de les inscrire dans une dynamique de reconnaissance. Luttes de femme est donc à la fois un geste analytique et un acte de mémoire. Il s’inscrit dans une épistémologie du terrain, où la parole des femmes devient source de savoir et levier d’action.
Comment avez-vous construit la narration des luttes féminines ?
La construction narrative repose sur une logique polyphonique, où les voix individuelles ne sont pas juxtaposées mais articulées dans une dynamique de dialogue et de tension. J’ai privilégié une approche inductive, fondée sur l’observation de terrain, l’écoute active et la restitution fidèle des récits. Chaque fragment narratif est mis en relation avec des éléments d’analyse contextuelle, afin de permettre une lecture à plusieurs niveaux : émotionnel, sociologique, politique.
Le style oscille volontairement entre le poétique et le technique, entre l’intime et le structurel. Il s’agit de rendre compte de la complexité des luttes féminines sans les réduire à des archétypes. En tant qu’expert, j’ai veillé à ce que la narration respecte les principes de consentement, de dignité et de non-extraction, en refusant toute forme de spectacularisation ou de simplification.
Le livre mêle-t-il témoignage, fiction, analyse sociologique ?
Oui, Luttes de femme est un texte hybride, qui assume pleinement sa pluralité méthodologique. Il articule des témoignages recueillis sur le terrain, des fragments fictionnels inspirés de situations réelles, et des analyses sociologiques fondées sur des données empiriques et des cadres théoriques éprouvés. Cette hybridité n’est pas un artifice littéraire : elle répond à une exigence épistémologique.
Dans les contextes où les données sont lacunaires, où la parole est entravée, où les corps sont en lutte, il est nécessaire de mobiliser plusieurs registres pour restituer la réalité. En tant qu’expert en genre, je considère que cette approche permet de dépasser les limites des formats classiques, et d’ouvrir des espaces de compréhension plus justes et plus nuancés.
Y a-t-il une figure féminine dans votre livre qui vous touche particulièrement ?
Le livre ne s’organise pas autour d’une figure centrale, mais plutôt comme une cartographie de résistances. Toutefois, au fil des missions et des mouvements qui ont alimenté la production de cet ouvrage, j’ai rencontré des femmes et des jeunes filles dont l’engagement m’a profondément marqué. Certaines figures contemporaines m’inspirent particulièrement, même si elles ne sont pas directement citées dans le livre : Juliette Etoke, Amber Cripps et Cécile Ndjebet, dont les trajectoires intellectuelles et militantes redessinent les contours du féminisme africain et des approches/outils d’analyses de genre.
Je pense également à de jeunes activistes comme Diabou Bessane, Marie Claire Ntsama, Arame Gueye, Angeline Evina, Gaëlle Oyono ou Béatrice Mayang, qui s’engagent avec une audace remarquable dans des contextes de grande précarité en Afrique. Et je ne peux passer sous silence la figure fondatrice de mon propre parcours : ma mère, Nkolo Nga Marie Paule, aujourd’hui disparue, mais dont la posture, la parole et les actes ont été pour moi une école de dignité, de lucidité et de courage. Elle incarne cette génération de femmes qui ont lutté sans étiquette, mais avec une clarté politique exemplaire. Ce livre lui est aussi dédié, dans le silence et la reconnaissance.
Peut-on considérer ce livre comme une œuvre engagée ?
Oui, mais il convient de préciser la nature de cet engagement. Luttes de femme est une œuvre engagée dans le sens où elle mobilise des savoirs situés, des récits incarnés et des analyses critiques pour interroger les rapports de pouvoir, les mécanismes d’exclusion et les formes de résistance. L’engagement ici n’est pas militant au sens partisan, mais éthique, épistémologique et politique.
Je considère que l’écriture ne peut être neutre lorsqu’elle traite de sujets aussi sensibles. Elle doit assumer sa part de responsabilité, sa capacité à transformer les représentations, à ouvrir des brèches, à déplacer les regards. Ce livre engage le lecteur, non pas à adhérer, mais à penser, à écouter, et à reconsidérer.
Quels stéréotypes ou idées reçues avez-vous voulu déconstruire ?
J’ai voulu déconstruire plusieurs stéréotypes persistants : celui de la femme du Sud passive ou victime par essence ; celui du féminisme perçu comme un luxe occidental, déconnecté des réalités locales ; celui de la lutte féminine réduite à des revendications institutionnelles ou à des figures médiatiques. Le livre montre que les résistances féminines sont ancrées, inventives, et parfois plus radicales que les discours officiels.
En tant qu’expert, j’ai également voulu interroger les représentations dominantes dans les politiques de développement, qui tendent à homogénéiser les parcours et à invisibiliser les subjectivités. Luttes de femme propose une pluralité de regards, une diversité de trajectoires, et une lecture critique des dispositifs normatifs.
Comment ce livre s’inscrit-il dans les débats contemporains sur le féminisme ?
Il s’inscrit comme une voix du Sud, une voix de terrain, une voix qui refuse l’uniformisation. Il dialogue avec les débats contemporains en apportant une perspective située, incarnée, et souvent absente des grands récits. Il ne cherche pas à s’aligner, mais à élargir. Il propose une lecture intersectionnelle, attentive aux contextes, aux héritages, et aux urgences locales. Il invite à repenser les alliances, à réévaluer les priorités, et à écouter les voix qui ne crient pas mais qui construisent.
Baltazar ATANGANA, quel impact espérez-vous que votre livre Luttes de femme aura dans la société, surtout sur la lutte des femmes ?
J’espère que Luttes de femme contribuera à renforcer les dynamiques de reconnaissance, de légitimation et de mobilisation autour des luttes féminines, en particulier dans les contextes africains où les résistances sont souvent informelles, diffuses, mais puissamment structurantes. Mon ambition n’est pas de proposer un modèle, mais d’ouvrir un espace : un espace de parole, de réflexion, et d’action.
En tant qu’expert en genre et développement, je souhaite que ce livre serve d’outil pédagogique pour les acteurs institutionnels, d’inspiration pour les jeunes militantes, et de miroir pour celles qui luttent sans visibilité. Qu’il permette de reconfigurer les imaginaires, de déplacer les représentations, et d’ancrer les politiques publiques dans des réalités vécues. Si ce livre peut contribuer à faire émerger une parole plus libre, plus stratégique et plus digne, alors il aura rempli sa mission.
Par Sylvie NABINTU




