Dans l’Est de la République Démocratique du Congo, le café n’est pas seulement une culture, c’est une histoire, une identité et un moteur de transformation sociale. À travers la marque Heshima Coffee, une voix s’élève pour valoriser le travail des femmes et des jeunes qui, du champ à la tasse, façonnent un café de spécialité reconnu bien au-delà des frontières du Kivu.
Dans cette rubrique Parole aux femmes, nous donnons la parole à Solange KAHIRIRI, une actrice engagée qui a choisi de faire du café un outil d’autonomisation, de fierté locale et de rayonnement international.
Madame Solange KAHIRIR Bonjour ,
Sourire, bonjour madame la journaliste
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager dans le secteur agricole et en particulier à mettre en avant le café du Kivu sur la scène internationale ?
Je suis née dans une famille de caféiculteurs, mon père est agronome et mon oncle, très engagé dans l’agriculture, m’a beaucoup conseillé et soutenu. En l’accompagnant dans les plantations, j’ai vu combien les jeunes et les femmes étaient impliqués dans la filière café. J’ai voulu valoriser leur travail.
C’est ainsi que je me suis lancée dans le café, non seulement dans la commercialisation et l’exportation, mais aussi dans la promotion de la consommation locale. J’ai été parmi les premières à organiser des dégustations publiques à Bukavu et à ouvrir un coffee shop, un espace où la population peut découvrir et savourer notre café sous la marque Heshima Coffee.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques uniques du café du Kivu qui le distinguent d’autres cafés du monde ?
Le café du Kivu bénéficie d’un climat tropical humide, d’une altitude élevée et de la richesse naturelle des montagnes du Mitumba et du Kahuzi, ainsi que des rives du lac Kivu. Ces conditions permettent une maturation lente des cerises, ce qui enrichit leur saveur.
Le café Heshima est cultivé de manière biologique, notamment à Kaniola et Kalehe. Nous produisons une variété arabica réputée pour sa qualité exceptionnelle. À la dégustation, on retrouve une acidité équilibrée, des notes fruitées et un parfum subtil de chocolat mêlé au café. C’est cette singularité qui fait du café du Kivu un café de spécialité recherché.
Quels sont les défis que vous rencontrez pour assurer que le café du Kivu soit reconnu et valorisé dans toute la chaîne internationale, de la production locale à la consommation ?
Les défis sont nombreux, mais nous les transformons en opportunités. Nous ne faisons pas seulement du café pour l’exportation, nous encourageons aussi la consommation locale et développons des produits dérivés comme le savon Kitoko, des gommages, de l’huile et le projet de fabriquer les dentifrices et encoure.
Auparavant, les intermédiaires rendaient difficile l’accès direct aux acheteurs et aux professionnels (baristas, torréfacteurs). Aujourd’hui, nous avons réussi à établir des contacts directs. Je suis fière d’annoncer que notre café a été dégusté et apprécié par de grandes compagnies en Italie, comme Trisk Muka et Spiga. Ces reconnaissances prouvent que le café du Kivu a sa place sur la scène mondiale.
Comment votre travail contribue-t-il à l’autonomisation des femmes et des jeunes dans la filière café au Kivu ?
Notre objectif est de promouvoir les femmes et les jeunes dans toute la chaîne de valeur. Il ne s’agit pas seulement de parler d’eux, mais de garantir que leur café soit acheté à un prix juste. Grâce à des partenariats, notamment avec la société Olive, nous avons pu connecter ces producteurs à des acheteurs internationaux. Aujourd’hui, sans financement externe, nous travaillons pour l’indépendance économique des femmes et des jeunes. Nous voulons qu’ils puissent s’affirmer dans le secteur et améliorer leur quotidien.
Nous avons aussi initié des collaborations avec des torréfacteurs et baristas européens, afin que nos jeunes puissent bénéficier de formations, en ligne ou en présentiel. Car la qualité d’une tasse de café se construit dès la plantation, jusqu’à la torréfaction. Si toutes les étapes sont respectées, nos jeunes peuvent fièrement représenter le café du Kivu à l’international.
Quel message adressez-vous aux jeunes, surtout aux femmes, qui veulent suivre vos pas ?
Je leur dis que l’agriculture n’est pas réservée à une catégorie de personnes ou aux seuls ruraux. Les pays qui se sont développés l’ont fait grâce à l’engagement des jeunes. Lors de mes voyages, j’ai rencontré des dirigeants qui avaient commencé à travailler dès l’adolescence et qui dirigent aujourd’hui des entreprises reconnues mondialement. J’invite donc les jeunes à nous emboîter le pas.
Avant la guerre, Heshima Coffee organisait chaque semaine des dégustations gratuites à Bukavu. Même les motocyclistes savaient que chez nous, on trouve le meilleur café. Si la paix revient durablement à l’Est de la RDC, nous rouvrirons ce centre et offrirons davantage dégustation mais aussi nous pensons débuter avec de formations en agribusiness et torréfaction. Ces formations coûtent cher ailleurs, mais nous voulons les rendre accessibles pour donner aux jeunes le goût et la passion du café.
Propos recueillie par Sylvie NABINTU





