En cette veille du 65e anniversaire de l’indépendance du Congo, j’aurais pu vous parler du fait que notre pays n’est toujours pas réellement indépendant, et comme l’avait affirmé à juste titre le Pape François en 2023 lors de son dernier séjour à Kinshasa : « après le colonialisme politique, un colonialisme économique, tout aussi asservissant, a été déclenché ».
J’aurais pu vous dire que la RDC est mal nommée. En effet, il ne s’agit pas d’une république, car la chose publique ou l’intérêt général n’a jamais été la préoccupation de nos dirigeants. Elle n’a rien non plus de démocratique car il n’y a pas un état de droit ni une justice digne de ce nom, et les élections ne résultent pas des choix des citoyens qui sont pris en otage par leur propre gouvernement et dont les droits et les libertés fondamentales leur sont déniés.
Que dire du Congo ?
Un pays confronté à une menace existentielle depuis 30 ans de conflit armés et amputé depuis plus de 3 ans de larges pans de son territoire dans le cadre d’une énième guerre d’agression et d’occupation. En effet, plus de 10 millions de compatriotes l’équivalent de la population belge survivent aujourd’hui au Nord et au Sud-Kivu entre la famine et la violence, sous le joug de l’armée rwandaise et de ses supplétifs du M23, dans l’indifférence, voire la complicité de la communauté internationale.
Aujourd’hui, en ce 27 juin 2025, la Ministre des Affaires étrangères de la RDC a signé avec son homologue rwandais un accord présenté comme un accord de paix, sous l’égide de la diplomatie américaine. Je voudrais donc m’attarder avec vous sur cette actualité, qui vise à mettre un terme à une crise sans précédent engendrant une souffrance qui dépasse l’entendement depuis la résurgence du Mouvement du 23 Mars (M23), un groupe armé soutenu directement et indirectement par le régime de Kigali depuis novembre 2021.
Il faut garder à l’esprit que cette crise s’inscrit dans un continuum des précédentes guerres d’agression dont est victime la RDC depuis 30 ans, et qui ont fait du Congo le conflit le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale.
Je tiens aussi à rappeler qu’à l’exception de l’Accord-cadre d’Addis Abeba pour la paix, la sécurité et la coopération, signé en 2013, les précédents accords de paix, de Sun City à Lusaka en passant par Kampala et Goma, ont systématiquement été motivés par des intérêts à court terme en ayant recours à des amnisties, à des promotions de seigneurs de guerre au sein des institutions de l’État et à l’intégration d’éléments de groupes armés dans les forces de défense et de sécurité congolaises, en sacrifiant la justice sur l’autel de la paix.
La population congolaise a déjà pu faire le constat amer qu’à la fin, ils n’ont obtenu ni la paix, ni la justice, et ces politiques ont eu un effet désastreux sur la protection de civils tout en créant un contexte propice à la répétition des conflits et des atrocités de masse. « Nous devrions donc nous réjouir d’une nouvelle initiative de paix pour faire taire les armes et mettre un terme à la souffrance de la population civile due à la guerre d’agression, d’occupation et de pillage des ressources naturelles que traverse la RDC. Mais une paix juste et durable ne peut se faire à n’importe quel prix »
Depuis le début des pourparlers de paix facilités par l’État du Qatar et la déclaration de principes, signés entre le gouvernement de la République démocratique du Congo et le gouvernement de la République du Rwanda sous l’égide de Washington en avril 2025, nous avons à maintes reprises averties l’opinion publique congolaise et la communauté internationale de notre scepticisme face au caractère opaque et non inclusif des négociations en cours.
En effet, la transparence est de mise pour rétablir la confiance et avancer vers une feuille de route crédible aux yeux de populations fatiguées par les manœuvres de l’ombre, souvent dictées par des intérêts économiques et financiers étrangers à ceux de la population congolaise.
Nos craintes semblent avoir été fondées car cet accord ne se base pas sur la reconnaissance par le médiateur américain de la reconnaissance qu’il y a un État agresseur, le Rwanda, qui défie chaque jour le droit international en totale impunité, et un pays agressé, la RDC qui subit de plein fouet les effets néfastes d’une géopolitique cynique.
Si, en apparence, l’accord de paix signé aujourd’hui semble se baser sur le respect de l’intégrité territoriale et prévoit la cessation des hostilités entre la RDC et le Rwanda, et que les deux parties au conflit sont amenées à s’engager à ne plus soutenir les groupes armés – les FDLR du côté congolais et le M23 du côté rwandais – diverses dispositions montrent que les graines de la prolongation du conflit sont déjà plantées.
En effet, le retrait de l’armée rwandaise du territoire congolais – qui devrait être immédiat et sans condition selon les prescrits de la résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée le 21 février 2025 – semble dorénavant être conditionné à la neutralisation des FDLR, par le truchement d’un mécanisme conjoint de sécurité (RDC/Rwanda) qui autorise l’armée rwandaise à opérer sur le sol congolais. L’agresseur non sanctionné pourra donc poursuivre ses opérations dans les Kivus, avec l’aval du gouvernement congolais.
En outre, le démantèlement du M23 dépendra des négociations parallèles à Doha dont l’issue est incertaine car dépendant largement du bon vouloir du Rwanda, qui tirent les ficelles de ce groupe armé, même s’il n’a jamais reconnu son soutien, alors que des preuves accablantes démontrent son contrôle direct sur ces rebelles.
Ainsi, nous pouvons dire qu’en signant cet accord, le régime de Kinshasa a abandonné sa souveraineté aux mains des forces d’agression, et légitimise l’occupation et les opérations d’une armée à la base de millions de morts, de centaines de milliers de femmes violées et du déplacement de millions de congolais.
Le scandale ne s’arrête pas ici car cet accord de paix, animé par une logique transactionnelle, comporte aussi des dispositions pour accélérer une intégration économique régionale, se basant notamment sur une cogestion des ressources naturelles avec le Rwanda, un État agresseur à la base du pillage systématique des ressources minières depuis 30 ans.
Ainsi, sous couvert de coopération économique, de sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minerais et de création de chaînes de valeur intégrées et transparentes – pour reprendre les termes de l’accord signé aujourd’hui –, les minerais congolais seront exportés pour ne pas dire « bradés » à l’état brut vers le Rwanda, qui procédera à la transformation et à l’exportation de produits semi-finis ou finis vers le reste du monde.
L’État rwandais agresseur- pilleur bénéficiera donc, avec le blanc-seing de Kinshasa, des bénéfices de la valeur ajoutée des minerais congolais, dans une logique extractiviste néocoloniale qui fera perdurer le sous-développement en RDC.
Comment accepter d’abandonner notre souveraineté ? Comment accepter de légitimer l’occupation d’un pays agresseur ? Comment accepter le bradage de nos ressources minières ? Comment sacrifier la justice sur l’autel d’une paix qui ne pourra qu’être fragile car l’accord de paix plante les graines de la répétition des conflits et des atrocités de masse.
Nous appelons donc en dernier recours à une prise de conscience du peuple congolais, à qui appartient la souveraineté nationale, et à un appel à la responsabilité dans le chef du gouvernement et du Président de la République, gardien de notre Constitution.
En vertu de notre loi fondamentale (art 214), le règlement de conflits internationaux ne peut être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi, et donc doit être préalablement soumis aux élus de l’Assemblée Nationale congolaise. Je rappelle aussi que tout accord qui aurait pour conséquence de priver la Nation de tout ou partie de ses propres moyens d’existence tirée notamment de ses richesses naturelles est érigé en infraction de pillage et que ces actes ou leurs tentatives sont punis comme infraction de trahison (art.56 et 57).
Dans l’éventualité où nos autorités ne respectent ni la Constitution, ni le droit international, nous serons contraints d’appeler le peuple à une véritable révolution démocratique pour exiger de recouvrer notre souveraineté et notre intégrité territoriale.
Je profite enfin de cette tribune pour dénoncer l’approche bilatérale privilégiée par Washington face à une crise dont la dimension est largement régionale, avec la présence de diverses armées étrangères sur le territoire congolais, dont celles de l’Ouganda et du Burundi, et entretenue par des intérêts géostratégiques qui touchent au fonctionnement de l’économie mondiale.
La conclusion d’un accord bilatéral n’aura donc pas vocation à consolider une paix durable. Je regrette de vous dire que j’ai donc toutes les raisons de croire que l’accord signé aujourd’hui à Washington n’augure pas d’une sortie de crise pour notre population qui souffre.
Ainsi, nous exhortons les acteurs impliqués à privilégier une approche multilatérale, et à assortir les appels au cessez-le-feu et au retrait des forces d’occupation d’un calendrier ferme et de sanctions fortes et coordonnées en cas de non-respect persistant de la résolution 2773 du Conseil de sécurité.
Enfin, nous appelons à nouveau tous ceux qui œuvrent à promouvoir davantage de paix, de stabilité et de prospérité en RDC et dans la région des Grands Lacs, y compris à Washington, à revitaliser l’Accord Cadre de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région, et à organiser une conférence internationale de haut niveau, avec la facilitation des institutions, notamment l’Union Européenne, et des pays garants, qui incluent la Belgique, la France, le Royaume Uni, et les Etats-Unis.
Le chemin de la paix dans la région des Grands Lacs africains reste possible, si et seulement si les efforts en cours sont animés par la volonté politique des dirigeants de la région et par la bonne foi de toutes les parties impliquées dans la recherche d’une sortie de crise durable, qui ne pourra pas faire l’économie de la justice.
A défaut, les menaces existentielles auxquelles sont confrontées la Nation congolaise risquent de se réaliser, et j’ignore s’il y aura encore de nombreuses occasions de commémorer notre fête nationale le 30 juin. Je compte sur vous pour inverser le cours de cette histoire tragique et de ce scandale qu’aucun peuple ne peut accepter sans se lever. Debout Congolais, et marche pour ta liberté.